J.O. Numéro 303 du 31 Décembre 1998       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet

Texte paru au JORF/LD page 20161

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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 23 décembre 1998 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 98-406 DC


NOR : CSCL9803359X




LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 1998
Les sénateurs soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi de finances rectificative pour 1998, définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 22 décembre 1998.
Les sénateurs soussignés demandent au Conseil constitutionnel de décider notamment que les articles 1er, 2, 3 et 12 de la loi précitée ne sont pas conformes à la Constitution pour les motifs développés ci-dessous ainsi que de se saisir de tout autre article dont il lui paraîtrait opportun de soulever d'office la conformité à la Constitution.

Articles 1er, 2 et 3
La loi de finances rectificative pour 1998 ouvre de nombreux crédits destinés à être reportés sur l'exercice 1999 ou sur des exercices ultérieurs (rapport Sénat, no 116, p. 35 et suivantes).
La plupart de ces crédits n'ont pas été inscrits au vu de l'urgence qu'il y aurait à les engager dès le début de l'exercice 1999. Au contraire, leur nécessité était connue dès l'élaboration du projet de loi de finances pour 1999. Il en va ainsi tant du recensement général de la population de 1999 que de l'indemnisation des commissaires-priseurs (projet de loi adopté en conseil des ministres le 22 juillet 1998) ou du financement des dépenses préparatoires à la célébration de l'an 2000.
Par ailleurs, d'autres crédits auraient pu être inscrits par le Gouvernement, par voie d'amendement, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1999 (plan d'urgence en faveur des lycées, revalorisation des péages dus à Réseau ferré de France...). Rappelons que cette faculté est interdite au Parlement par la Constitution.
Ces crédits n'ont, de fait, pas été inscrits en raison du souci du Gouvernement d'utiliser le surplus des recettes fiscales encaissées en 1998 au financement de dépenses futures et, ainsi, de surestimer le déficit 1998 et de sous-estimer le déficit 1999. Les débats parlementaires (Sénat, séance du 14 décembre 1998) le démontrent clairement puisque le secrétaire d'Etat au budget a indiqué : « Il ne me paraît pas de mauvaise gestion de consacrer une partie des recettes supplémentaires... à prendre en charge des dépenses telles que le recensement de la population » et souligné plus explicitement encore « il n'est pas de mauvaise méthode... de profiter de ce que l'on a quelques plus-values fiscales pour financer des dépenses à caractère exceptionnel ». Le Gouvernement reconnaît donc sans réserve l'inscription dans le collectif de dépenses destinées à être engagées l'année prochaine.
Le Gouvernement a donc sciemment présenté au Parlement un projet de loi de finances rectificative manifestement contraire tant au principe fondamental de l'annualité budgétaire qu'à l'obligation de sincérité dont le Conseil constitutionnel a déjà reconnu la nécessité impérieuse. L'inscription de crédits destinés à être reportés ne répond donc pas à un objectif légitime de continuité de l'action de l'Etat mais à un pur souci d'affichage politique.
Il est donc demandé au Conseil de censurer les articles 1er, 2 et 3, en tant qu'ils contreviennent aux principes fondamentaux de l'annualité et de la sincérité budgétaires.

Article 12
Cet article portant réforme de la contribution représentative du droit de bail et de la contribution additionnelle conduit à exiger des redevables de payer deux fois ladite taxe à raison des loyers perçus sur les neuf premiers mois de 1998. De surcroît, le mécanisme de demande de dégrèvement retenu en dernière lecture par l'Assemblée nationale (rapport Sénat no 116, p. 84 et suivantes) ne garantit nullement que tous les bailleurs et locataires pourront en faire usage.
Cet article n'est donc pas conforme à l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui pose les principes de l'égale répartition de la « contribution commune » et de l'appréciation des facultés contributives.
Cet article n'est pas davantage conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la rétroactivité de la loi fiscale, car la disposition déférée n'a pas été prise pour des raisons d'intérêt général mais dans le seul souci de ne pas décaler dans le temps les recettes fiscales de l'Etat. Le Conseil ne saurait en effet assimiler à une raison d'intérêt général un simple décalage de trésorerie ne générant aucune perte de recettes et des dépenses de « portage » d'un montant limité. De plus, il n'y a pas proportionnalité entre les mesures adoptées - faire payer deux fois l'impôt sur le même revenu - et l'objectif poursuivi de simplification des formalités déclaratives particulières au droit de bail. Un mécanisme simple de remboursement progressif d'une créance d'impôt aurait pu être mis en oeuvre, par analogie avec le dispositif institué lors de la suppression de la règle dite du décalage d'un mois en matière de TVA.
Cet article contrevient enfin au principe d'égalité devant les charges publiques, en tant qu'il entraîne une double imposition des personnes physiques et non des personnes morales, pour lesquelles des dispositions spécifiques ont été prévues. Ces bailleurs ne sont pas en effet dans « des situations différentes », et il n'existe aucune « raison d'intérêt général » à instituer une telle inégalité. Si tel n'était pas le cas, la « différence de traitement qui en résulte » ne serait pas « en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit », puisque cet objet est de simplifier les formalités déclaratives particulières au droit au bail. Il y aurait même une inversion paradoxale, puisque l'objectif de simplification, qui s'adresse essentiellement aux bailleurs personnes physiques, se traduirait par une surimposition de ces mêmes bailleurs.
Pour l'ensemble de ces raisons, l'article encourt donc la censure du Conseil constitutionnel.
Pour ces motifs, et pour tout autre qu'il plairait à votre Conseil de soulever, les auteurs de la présente saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution la loi de finances rectificative pour 1998.
(Liste des signataires : voir décision no 98-406 DC.)